2013 - juin

2013 - juin

16 juin - 16h
Eglise Saint-Jean-de-Malte
22 & 23 juin - 20h30 et 17h
Chapelle du Sacré-Coeur
Aix-en-provence

Au début de l'année 1782, Mozart est amoureux ! Il compte, en effet, épouser bientôt Constance Weber, mais la jeune fille est malade et l'on craint le pire pour elle. Mozart fit alors quelque chose d'inouï : il commença à composer pour sa bien-aimée une messe votive. Aucun ne l’ayant commandée, il était entendu qu'il ne percevrait aucune rémunération pour cela. Cette œuvre doit donc s'entendre comme un dialogue intime, privé, entre Mozart et
le Créateur.
En écoutant la sublime partition qui nous est parvenue, on peut facilement imaginer le jeune et désespéré compositeur à genoux, métaphoriquement littéralement, et l'on peut se figurer les paroles qu'il adressa en prière : «Mon Dieu, mon Père, je t'en prie, je t'écris cette humble œuvre pour que tu daignes l'accepter en offrande pour le salut de ma fiancée...» Et Dieu accepta, semble-t-il, car Wolfgang et Constance se marièrent le 4 août de la même année et eurent six enfants. On dit qu'ils demeurèrent amoureux l'un de l'autre jusqu'à la fin.
Cette monumentale messe que Mozart écrivit pour Constance est celle connue aujourd'hui sous le titre de Grande Messe en Ut mineur, K 427.
Comparable à la Grande Messe en Si mineur de J.S. Bach ou à la Missa Solemnis de Beethoven, cette grande œuvre est un exemple exceptionnel en termes d'inspiration, de maîtrise, de style et de dimensions, à tel point que la Messe du Couronnement du même Mozart semble une pièce mineure en comparaison.
Son caractère tient à plusieurs choix que Mozart y opère :
- d'abord, la tonalité grave en Do/Ut mineur, un choix assez rare pour une œuvre sacrée. Celle-ci lui confère une solennité particulière, une touchante
majesté, un sentiment d'humilité, tout en ouvrant une fenêtre sur le cœur endolori du compositeur.
- puis, le riche menu harmonique déployé par chaque mouvement : Do mineur, Do majeur, Fa majeur, La mineur, Mi mineur... des choix surprenants compte tenu du fait que Mozart privilégiait des formules harmoniques pour ses œuvres sacrées de la période Salzbourg.

- enfin les proportions : la messe en Ut nécessite la présence d'un grand orchestre composé de 2 hautbois, 2 cors, 2 bassons, 3 trombones, 2 trompettes, des timbales, une flûte et des cordes (premiers et seconds violons, alto, violoncelle, contrebasse). Cet ensemble accompagne le chœur qui se présente tantôt à 5 voix (dédoublement du pupitre des soprani), tantôt à 8 voix (l'œuvre comprend 3 passages en double chœur) pour assurer une sonorité solennelle et grandiose.
Jamais Mozart n’avait écrit d'airs sacrés d'une telle difficulté, un niveau qu'il atteint seulement dans ses opéras. Les airs de cette messe nous font  d'ailleurs penser fortement à Cosi fan tutte(écrit à peu près à la même époque et pour le même effectif).
Ainsi, le sublime solo Christe eleison, d'un registre de deux octaves, demande à la soliste de porter sa voix aux limites supérieures et inférieures avec les mêmes souplesse et douceur que l'aria Per Pieta.
L'acrobatique Laudamus Tenous fait penser à Come Scoglio, l'impossible duo Domine Deus nous rappelle l’époustouflant Se viver non degg’io de
Mitridate, l’apparition du ténor dans le trio Quoniam renvoie au personnage de Ferrando dans Cosi fan Tutte, pour finalement inviter également Guigliemo (baryton) au quatuor Benedictus. Il convient, enfin, d'adresser une mention spéciale à l'air Et incarnatus est, où la soprano doit faire preuve d'expressivité, d'endurance, de flexibilité, de maîtrise et d'une grande ampleur de registre.
Cette messe impressionne finalement par son incroyable inspiration et démontre une maîtrise parfaite de l'écriture musicale; elle est tout simplement émaillée tout du long de sublimes mélodies ! Elle présente, en outre, des exploits de contrepoint qui auraient fait hausser les sourcils à J.S. Bach.
Ainsi, le Osanna in excelsis est un mouvement où chacun des deux chœurs développe une fugue indépendante qui se superpose à celle de l'autre
chœur en une hardiesse d'écriture assez remarquable.
Cette messe demeure cependant inachevée. Il manque toute la partie du Credo qui suit l'air Et incarnatus est. L'orchestration du Credo est également incomplète. L'Agnus Dei est absent, le Sanctus est en partie perdu et nécessite une reconstruction.

Les raisons pour lesquelles Mozart n'a pas achevé cette œuvre demeurent inconnues et incompréhensibles. Si les exemples similaires ne manquent pas, à commencer par son Requiem ou encore la Grande Messe en Si de J.S.Bach - dont le musicien n'écrivit que le Kyrie et le Gloria en 1733, avant d'en compléter tout le reste en 1748 sans raison apparente, on en est réduit à émettre des hypothèses pour expliquer l'inachèvement de la Messe en Ut : d'autres engagements plus urgents ? Un besoin d'argent ? Une motivation insuffisante ? Le rétablissement de Constance ? Le mystère demeure entier.

«... Je te promets de composer pour toi la meilleure messe jamais écrite, de faire usage de tout mon talent pour t'honorer et te plaire; dans ma tête, elle est déjà complète...» poursuivit-il vraisemblablement dans sa prière silencieuse. «N'aie crainte, Amadeus», répondit le Créateur, «je l'entend dans toute sa plénitude et elle est magnifique !»