2011 - mai

2011 - mai

Marie-Elsa Picciocchi, soprano I
Marion Rybaka, soprano II
Rodrigo Sosa, contralto
Thomas Barnier, ténor
Cyril Constanzo, basse

Cantabile Choeur et Orchestre

Un siècle, deux maîtres de Chapelle à Salzbourg.


A l'époque moderne, la province de Salzbourg constituait un État ecclésiastique relevant du Saint Empire Romain Germanique, une "enclave libre" gouvernée par un grand seigneur : le Prince-Archevêque de Salzbourg. Ces personnages puissants administraient à la fois leur royaume et leur Église, possédaient les titres de Legatus Natus (légat permanent) et Primas Germaniæ (Primat de Germanie) et avaient le droit de porter la pourpre cardinalice. 

Tout au long de l’histoire, ils ont eu à cœur d'engager les meilleurs musiciens du moment pour magnifier la gloire de l'Église.

L'un d'entre eux, Heinrich Ignaz Biber (1644 - 1704), né en Bohème, arriva à Salzbourg en 1670 presque par accident, mais c'était pour ne plus quitter la cité. Sa vie professionnelle et sociale y prospéra. Il joua devant l'Empereur qui le récompensa en 1677; il devint ensuite « vice-kapellmeister » de la cathédrale, en 1679, puis « kapellmeister » en 1684. En 1690, Biber fut anobli par l’Empereur qui lui accorda le privilège d'ajouter une particule à son nom, désormais "Biber von Bibern". Sa relation avec son patron, le Prince-Archevêque Maximilian Gandolph, n'aurait pu être meilleure également. Mise à part sa vaste œuvre pour violon solo (dont les célèbres "sonates du mystère"), Biber écrivit pour lui et pour l'ample acoustique de la cathédrale (qui comprenait 6 galeries d'orgue, ce qui lui permettait de placer un chœur dans chacune d'elles) plusieurs œuvres polychorales, comme la Missa Salisburguensis à 53 voix (8 chœurs) ou le motet Plaudite Timpana à 53 voix également.

En 1687, l’Archevêque Gandolph décéda brutalement. Pour ses obsèques, Biber écrivit son premier requiem, celui en La majeur, un requiem lumineux, paisible, qui, en s'adressant à l'âme du défunt, décrit plutôt la majestueuse sérénité du royaume où elle demeure désormais.

En revanche, nous n’en savons que très peu sur les circonstances de la composition du son second requiem, celui que nous interprèterons ce soir : le Requiem ex Fa con terza minore (Fa mineur). Nous savons avec certitude qu'il fut écrit après 1690, mais nous ne savons pas pour qui. Ce requiem est tout l'opposé du précédent : écrit en une tonalité mineure « très moderne », il est adressé à l'assistance endeuillée et dépeint un drame. Avec une orchestration « alla Gabrieli » (chœur de cordes, chœur de vents, chœur à 5 voix et choœur de solistes), ce Requiem ex Fa déborde d'expressivité, de moments lancinants, de sincérité, d'originalité, de tournures inattendues, de compassion, de profondeur mais aussi de simplicité.

Environ cent ans après, une autre histoire se déroula dans la même cité. Léopold Mozart venait d'être nommé « vice-kapellmeister » sous le règne du Prince-
Archevêque Siegmund Christoph von Schrattenbach, un homme de pieuse réputation, protecteur des enfants et des arts. Wolfgang n'avait que 7 ans et jouait avec sa sœur Nannerl dans des soirées musicales. En tant qu'enfant-artiste, il profitait ainsi de la générosité de Schrattenbach qui finançait ses tournées européennes ainsi que ses voyages à Vienne et en Italie, et qui le nomma « Konzertmeister » en novembre de 1769. La vie souriait aux Mozart !

Mais cette histoire heureuse prit fin en 1771 avec la mort de Schrattenbach et la nomination d'un nouveau Prince-Archevêque de Salzbourg: le comte Hieronymus von Colloredo. De nouvelles règles allaient en effet bientôt être mises en place.

La personnalité austère et rigide du nouveau Prince-Archevêque est très bien documentée sur le plan historique. Colloredo, à la différence de son prédécesseur, tolère moins les voyages de la famille Mozart mais le jeune musicien se résigne mal à rester dans sa ville natale. En outre, son nouveau patron lui impose la forme des pièces qu'il doit composer pour les cérémonies religieuses: les longues messes sont interdites, il ne faut pas dépasser les 20 minutes de musique tout en gardant une structure homophonique et en privilégiant le format "Missa Brevis", ponctué de brèves interventions de solistes et sans arie. À dix-sept ans, Wolfgang a du mal à accepter ces contraintes, et ses relations avec le Prince-Archevêque se dégradent au cours des trois années qui suivent. Le Prince finit lui aussi par en avoir assez et le congédia un jour avec un tonitruant : "Mai er verlasse, ich brauche ihn nicht !" (« qu'il s'en aille, je n'ai pas besoin de lui! »).

Comment expliquer l'existence de cette « Missa longa » qui va si manifestement à l'encontre des règles établies par Colloredo? Nul ne le sait! Le musicologue Alfred Einstein place la date de composition de cette œuvre en mai 1776, tandis que des études récentes, fondées sur l'analyse des traces d'eau présentes sur la partition originale, penchent plutôt pour le milieu de l’année 1775. Quoi qu'il en soit, c'est donc bien une œuvre de la période "Colloredo".

L'ampleur de cette pièce correspond parfaitement à sa dénomination "Missa Longa": des interludes orchestraux élaborés, une instrumentation flamboyante, une durée de plus de 30 minutes et un contrepoint de haut niveau manifesté par les longues fugues de la fin du Gloria et du Credo la distinguent des autres messes bien plus brèves que Mozart composa au même moment. Cependant, on peut aussi la considérer comme une "Missa brevis", car elle n’a pas d’airs.
Pour toutes ces raisons, la Missa Longa constitue une œuvre exceptionnelle. Mais la raison pour laquelle l’Archevêque permit à Mozart d'écrire une messe de ces dimensions et de cette extravagance demeure un mystère, alors que, de nos jours, les musicologues cherchent encore à expliquer l’inexplicable attitude de Colloredo.